Des coupes bénéfiques 4 avril 2025

Jensen Edwards
Jeunes plants en pleine croissance, Aire de conservation Golden Ranches, Alb. (Photo CNC)
Jeunes plants en pleine croissance, Aire de conservation Golden Ranches, Alb. (Photo CNC)

Assurer la résilience des forêts à l'aide d'outils de conservation adaptés à chaque région

Telle une géante au beau milieu d’une forêt, Delaney Schlemko, responsable d’aires naturelles à Conservation de la nature Canada (CNC) pour le nord-est de l’Alberta, admire les milliers d’arbres dont elle assure l’intendance. Tout en marchant, elle veille à ne pas écraser les tiges ligneuses d’espèces indigènes, comme l’épinette blanche, le pin tordu et l’épinette noire. Ces arbres à hauteur de genou, aussi fragiles soient-ils, constituent déjà une forêt très précieuse.

Plantés sur 55 hectares à l’aire de conservation Golden Ranches, par l’organisme à but non lucratif Project Forest, les 110 000 jeunes arbres sur lesquels veille Mme Schlemko font concurrence aux espèces envahissantes bien implantées dans cette région au sud-est d’Edmonton. À mesure que leurs branches se déploient et que leurs racines s’enfoncent dans le sol, les arbres de Golden Ranches réaffirment leur rôle dans les collines Beaver.

 

« Les forêts sont un élément important de la mosaïque du paysage régional », déclare-t-elle. En effet, elles ont d’innombrables avantages, notamment celui de fournir un abri à la faune et à la flore, tout en ouvrant la porte à la pratique de différents loisirs. Elles sont aussi une zone de transition entre la forêt-parc à trembles du sud de la province et la forêt boréale plus au nord.

Située entre la banlieue d’Edmonton et des zones agricoles, la région des collines Beaver fait face à d’importantes pressions liées à l’étalement urbain, à la conversion des milieux naturels en terres agricoles et aux sécheresses. Par exemple, de 2015 à 2020, la disparition des forêts indigènes était à l’origine de près de la moitié des changements de couverture terrestre. Pour chaque arbre disparu, les collines Beaver perdent bien plus qu’un végétal.

Les forêts sont essentielles au maintien de la vie. Elles nous fournissent des ressources de subsistance, favorisent les liens culturels, nous offrent des occasions de nous divertir et nous procurent de l’air pur. Cette relation n’est toutefois pas à sens unique : tout comme nous dépendons des forêts pour de nombreux services, elles aussi peuvent profiter de nos actions. Or, ce lien symbiotique entre l’humain et l’environnement, paysages, sont menacés par l’augmentation des phénomènes météorologiques imprévisibles et des taux d’humidité, ainsi que par l’idée fausse selon laquelle la nature est distincte de l’humain. C’est pourquoi CNC collabore avec bon nombre de partenaires pour rétablir l’équilibre dans les forêts partout au pays.

Renforcer la résilience par l’éclaircissement manuel et les brûlages dirigés

La plantation d’arbres n’est pas une solution universelle pour renforcer la résilience des forêts. La nature n’est pas si simple. Pour choisir le meilleur outil de conservation, CNC évalue l’histoire d’un paysage donné, ainsi que les changements qu’il a subis. Notre approche doit être adaptée à chaque site pour que nos actions aient des retombées optimales sur l’ensemble du paysage et pour que nous puissions atteindre notre objectif ultime : nous assurer un avenir prospère avec la nature.

Prenons l’exemple du sillon des Rocheuses, dans le sud-est de la Colombie-Britannique. Avant la colonisation européenne, cette région en était une de savanes ouvertes, et non de denses forêts de conifères, comme celles qui s’y trouvent aujourd’hui. Cela s’explique en partie par le fait que la région était régulièrement soumise à des feux allumés par la foudre ou par des Premières Nations qui recouraient à cette pratique à des fins d’intendance. Fréquents, mais de faible intensité, ces feux ont revitalisé la terre et ont laissé derrière eux les arbres adultes les plus résistants aux flammes, créant ainsi une prairie ouverte et un sous-étage d’arbustes florissants.

Cependant, près de deux siècles de politiques coloniales et d’efforts de suppression des feux ont transformé le paysage, maintenant sujet à des brasiers incontrôlables et intenses qui brûlent longtemps et souvent près des collectivités. Ces feux s’emparent de la végétation sèche, menaçant de détruire les écosystèmes et les collectivités du sillon des Rocheuses. Dans la région et sur tout le continent, des collectivités, des industries, des gouvernements et des organismes de protection de la nature comme CNC reconnaissent désormais la sagesse ancestrale dont faisaient preuve les communautés et les nations autochtones locales, et qu’on leur a longtemps interdit d’appliquer. C’est que les feux sont parfois nécessaires à l’épanouissement des forêts.

N’est-il pas beaucoup plus facile de nettoyer sa maison quand on l’entretient régulièrement que si on laisse la poussière s’y accumuler, entre deux grands ménages du printemps? Il en va de même pour les forêts de douglas de Menzies et de pins ponderosa du sillon des Rocheuses, qui profitent de pratiques de gestion régulières, comme les brûlages de faible intensité ou, lorsque ce n’est pas possible, de coupes d’éclaircie.

CNC et ses partenaires utilisent précisément ces deux techniques pour éclaircir les forêts dans l’aire de conservation du ranch Kootenay River et ailleurs dans la région. L’objectif est de reproduire les effets que les feux et les infestations de ravageurs avaient autrefois en éliminant les débris et la plupart des arbres juvéniles ou en régénération et en favorisant la création de bois mort, qui procure un habitat diversifié à la faune. Bien qu’elle soit précise, la méthode d’éclaircissage manuelle prend beaucoup de temps, d’où la décision de CNC et d’autres organismes de la combiner à des solutions plus naturelles, comme les brûlages.

Un brûlage dirigé est un feu minutieusement planifié et allumé intentionnellement. Cette pratique vise à reproduire les effets que les brûlages de faible intensité avaient autrefois. Ce travail complexe est suivi de près par les gestionnaires de terres, qui comptent sur l’aide d’un service contractuel d’incendie, du BC Wildfire Service et d’autres spécialistes. Dans le sillon des Rocheuses, seuls six à dix jours par an offrent des conditions favorables à la réalisation d’un brûlage, et même ces jours-là, les plans peuvent changer rapidement. Par exemple, l’année dernière, CNC et le BC Wildfire Service ont dû interrompre un brûlage dirigé au ranch Kootenay River, car le vent avait changé de direction. Néanmoins, une planification adéquate et une bonne dose de patience peuvent mener à des résultats étonnants.

Les premiers effets du brûlage dirigé dans le sillon des Rocheuses sont d’ailleurs apparus quelques semaines seulement après l’extinction du feu. Des îlots de semis se sont révélés et des fleurs opportunistes ont émergé des sols carbonisés. Des amélanchiers à feuilles d’aulne et des purshies tridentées ont repoussé, offrant ainsi une source de nourriture riche en nutriments aux wapitis, aux cerfs et aux mouflons. Les arbres morts et en décomposition fournissent quant à eux un abri de choix aux insectes et aux oiseaux, comme le pic de Williamson et le pic de Lewis, deux espèces en péril dans la région. La vie s’y rétablit rapidement.

L’éclaircissage des forêts et les brûlages dirigés contribuent également à renforcer la sécurité des collectivités locales en diminuant les charges de combustible. Généralement, les incendies dans les zones restaurées sont de plus faible intensité et risquent moins de franchir les routes, les cours d’eau et les espaces ouverts pour atteindre les infrastructures humaines. L’éclaircissage des forêts crée également des emplois. En effet, des équipes locales sont embauchées pour effectuer les brûlages dirigés, et les matériaux issus de la coupe sélective peuvent être transformés par des usines de la région ou utilisés comme bois de chauffage. Outre CNC, d’autres gestionnaires de terres dans le sillon des Rocheuses éclaircissent leurs forêts, notamment la nation Ktunaxa et les détenteurs de droits sur le bois. Selon ses intérêts, chaque groupe tire des avantages de cette pratique, mais, ultimement, ce sont toutes les formes de vie qui en profitent.

« Vu les conséquences des catastrophes naturelles et des perturbations environnementales, nous prenons de plus en plus conscience de l’importance de comprendre notre rôle dans l’apparition de ces phénomènes et de trouver un équilibre entre ce qui est bénéfique pour nous et ce qui l’est pour l’écosystème dans son ensemble », affirme Virginia Hermanson, coordonnatrice à l’intendance à CNC.

Les humains contribuent à la résilience des forêts

« Avant, nous pensions qu’il suffisait de circonscrire un écosystème pour qu’il reste intact à perpétuité, déclare Kate Lindsay, biologiste et vice-présidente, Durabilité, à l’Association des produits forestiers du Canada (APFC). Comme si, en le recouvrant d’une cloche de verre, il conserverait à jamais son état. Mais ce n’est pas la réalité. »

Les forêts et les services qu’elles nous rendent ne sont pas distincts de nous. En effet, cette biologiste et de nombreuses parties prenantes du domaine de la conservation et de la foresterie reconnaissent aujourd’hui que les humains font partie intégrante de la nature. « Nous sommes au coeur des écosystèmes », précise-t-elle. De la Colombie-Britannique aux provinces de l’Atlantique, les forêts soutiennent de nombreuses économies locales. Mme Lindsay mentionne que les membres de l’APFC ont un intérêt direct dans leur conservation. « Notre rôle est d’assurer la durabilité à long terme de l’industrie et de toutes les fonctions des écosystèmes forestiers », affirme-t-elle.

C’est ainsi que CNC travaille avec Kate Lindsay et ses collègues de l’industrie forestière pour favoriser et encourager le recours à des mesures de conservation efficaces. « Ces efforts contribuent à sensibiliser le secteur forestier ainsi que d’autres utilisateurs et gestionnaires de terres à la conservation en leur permettant de mieux comprendre les répercussions de leurs activités sur les écosystèmes, les collectivités et l’avenir », explique-t-elle. Leur montrer comment il est possible de travailler pour la nature et les collectivités favorise la création d’une communauté de personnes fières et engagées, conscientes de l’impact positif qu’elles peuvent avoir sur la nature et la population.

 

Retournons dans les collines Beaver Hills de l’Alberta, où c’est exactement ce que l’on observe. En 2016, la zone a été désignée réserve de biosphère par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO). Les réserves de biosphère sont des territoires reconnus comme étant des lieux où les gens vivent en harmonie avec l’environnement (le Canada en compte 19). Cette désignation reconnaît également que la conservation de la biodiversité favorise le développement économique durable et que la nature et les humains peuvent (et doivent) se soutenir mutuellement. Les travaux de restauration sur le site du ranch Golden en sont un excellent exemple.

Grâce à l’humain, la forêt reprend graduellement ses droits dans cette région autrefois couverte de champs, renforçant ainsi la connectivité écologique au coeur des collines Beaver. En retour, la forêt offrira un refuge aux espèces et purifiera l’air pour les collectivités environnantes. Les insectes qu’elle abritera polliniseront aussi les cultures des champs agricoles à proximité, qui à leur tour serviront de nourriture aux personnes mêmes qui ont planté les arbres.

Grâce à la planification minutieuse de Delaney Schlemko et de son équipe, les travaux de restauration auront des retombées mesurables à l’échelle du paysage. Rappelons-nous que la forêt dans son ensemble est composée d’arbres, d’êtres humains et de nombreuses autres espèces, qui sont tous interreliés. Qu’il s’agisse d’éclaircir les forêts du sud-est de la Colombie-Britannique ou de planter des arbres dans les collines Beaver, CNC reconnaît que les humains ont un rôle à jouer pour assurer un avenir résilient aux forêts et aux collectivités.

À propos de l'auteur ou de l'autrice Jensen Edwards